JESSICA BERNARD

Mon père a été victime d’harcèlement dans son travail. Il a ensuite développé une schizophrénie et n’a jamais repris le travail. Dans le cadre de sa maladie, il a souffert de délires et a vécu la dernière partie de sa vie professionnelle dans une réalité confuse.
Il s’est vu attribuer un numéro d’employé commençant par « 007 » et s’est pris pour James Bond, travaillant sous couverture au bureau. Lorsqu’il a été interné dans les années 1980, il se prenait pour Kenny Everett, un comédien britannique populaire
à l’époque. Il croyait qu’il était escorté à l’hôpital psychiatrique pour y monter un spectacle, jusqu’à ce qu’il soit retenu et mis sous sédatifs. En 2013, j’ai commencé à documenter les activités de team building. Dans l’espace de travail de l’entreprise, les salles de conférence grises omniprésentes sont devenues des arènes de jeu.
Des parcours d’obstacles et des jeux de société surdimensionnés ont été installés
dans les bureaux. Les piliers ont été habillés de banderoles colorées. Au fil du temps, j’ai établi un lien entre ces photographies et les expériences de mon père. Dans ces images, je vois une manifestation physique de sa désorientation. Les gens sont mis à l’épreuve, changés et forcés de faire face à de multiples versions d’eux-mêmes.
Le lieu de travail les pousse dans un nouveau monde absurde et artificiel. Ils quittent subitement un état de grisaille et de conformité, de règles et de procédures, dans lequel ils sont les ambassadeurs de leur organisation. Ils doivent être une personne complètement différente. Perdre leurs inhibitions, être expressifs et physiques, peindre, danser. Des hommes en costume jouent du bongo. Ils se battent pour construire la plus haute tour de spaghettis. Ils attendent patiemment dans la prison du Monopoly.